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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 14:19

La mise en dialyse n'est qu'une des étapes de l'insuffisance rénale chronique. L'insuffisance rénale se décompose en plusieurs stades, évalués par la clairance de la créatinine. La clairance est une mesure permettant d'évaluer le pouvoir d'élimination, de filtration par les reins d'une substance donnée. La créatinine est produite par l'activité musculaire, un des déchets liés au fonctionnement. Étant stable pour une personne car produit en fonction de la masse musculaire, le calcul de son élimination est un très bon marqueur.

Il existe plusieurs façons de mesurer cette fonction, et les taux obtenus donnent une indication de l'insuffisance rénale. En dessous d'un certain seuil, il sera estimé que le rein ne fait plus son travail d'épuration, de filtration, et il faudra passer à la dialyse, substitut mécanique à la fonction naturelle.

Si le travail a été fait correctement, cet épisode ne doit pas être une surprise. On doit, à tout prix, cherché à limiter l'impact traumatique de l'annonce. Le rein se dégrade lentement, le patient aura donc rencontré plusieurs fois son néphrologue qui lui en aura parlé avant que cela n'arrive. Cependant, dans de rares cas, on voit arriver des patients en urgence avec des œdèmes pulmonaires, et la mise en dialyse est la seule indication possible. Ou alors l'information était incomplète ou mal comprise par le patient.                                                                                                                                                                         

Quand le corps passe à l'acte d'une façon aussi radicale, il y a un effet traumatique qui se déclare, d'incidence variable. Souvent, si le terrain n'a pas été assez bien préparé, le patient peut afficher certaines caractéristiques du choc réactionnel (choc, négation, colère, marchandage, abattement, acceptation). Dans la mesure du possible, l'accompagnement psychologique avant cette étape, ou simplement une présentation du psychologue comme faisant partie de l'équipe thérapeutique, peut apporter une aide circonstanciée au patient. Le psychologue ne sera pas un joker qu’on pourra jouer le cas échéant, mais sera identifié à un des éléments du dispositif comme les infirmières, la diététique, l’assistance sociale. Les réticences que montre naturellement le patient à s'adresser au psychologue auront déjà eu le temps de maturer si celui-ci a été rencontré auparavant, facilitant le dialogue.

Au moment où le néphrologue indique au patient que la mise en dialyse est nécessaire, la vie de celui-ci va à nouveau se trouver bouleversée. Généralement, les habitudes alimentaires sont à revoir, le régime change, notamment les apports hydriques qui, de très abondant, deviennent très limités. Alors que le patient ne voyait son médecin que quelques fois par an, les séances de dialyse se pratiquent tous les deux jours. C'est donc un profond bouleversement au quotidien qui s'opère.

La maladie rénale, si on la laisse faire, s'insinue partout. Il devient plus difficile de suivre une activité sociale ou professionnelle à cause de la fatigue globale générée par la maladie ou par le traitement. Cela est surtout vrai pour les personnes les plus âgées. Il est nécessaire d'avoir un régime alimentaire approprié, c'est-à-dire souvent personnalisé par rapport au reste de la famille, ce qui n'est pas sans poser problème au cours de réunions familiales. De même, les reins ne remplissant plus leur fonction d'élimination, l'absorption de liquide se trouve considérablement diminuée. Fini le repas avec apéritif, vins rouges, café et digestif. Et cela ne passe pas inaperçu. Il faut faire face aux regards, et aux questions. Au quotidien, le patient sera remis en cause psychiquement, car une partie de lui, son corps, est en train de vivre quelque chose qui n'est ni souhaité, ni demandé. On assiste parfois à des sortes de punition des patients contre eux-mêmes, car ils s’en veulent d'être ainsi, même s'ils sont conscients du fait qu'ils n'y sont pour rien. Familialement, il faudra continuer à tenir sa place dans le rang, père, mère, frère, enfant ou époux. Et puis, envers soi, tout le temps, lutter contre la soif. Celle-ci n'est pas réelle, car le corps ne manque pas d'eau. Le dysfonctionnement rénal produit un déséquilibre des électrolytes qui, analysé par le thalamus, est traduit par de la soif. Si le milieu sanguin est trop concentré, en y rajoutant de l'eau, la concentration baisse. C'est un mécanisme naturel qui fait ressentir cette soif, mais qui se trompe dans son analyse. Chez certains patients, celle-ci renvoie à la soif éternelle qui tourmente les damnés en enfer.

Seulement, comme il fut dit plus haut, c'est d'abord le corps qui est le maître d'œuvre de cette situation. Soudain, la barque devient folle. Dans toutes les complications actuelles et à venir, il est important de permettre au patient d'en dire quelque chose. Il reste la première personne concernée, avant la parole du médecin, et avant les analyses biologiques. Que s’imagine-t-il ? Que projette-t-il ? A quoi ça le renvoie, de ses craintes, de son histoire, de ce qu’il sait, de ce qu’il va devoir recomposer dans l’avenir ?

Mais surtout, qu’est-ce que ça reformule de lui-même ? L’important est la permanence du sujet, c'est-à-dire comment la personne va perdurer avec cette particularité physique, comme elle va continuer à être quelqu’un, avec d’autres moyens, d’autres futurs, d’autres envies. Le « je » reste intact.

C’est de cela, en partie, dont le psychologue est le garant : vous serez quelqu’un d’autre, mais toujours quelqu’un, un peu différent de ce que vous pensiez, mais toujours vous-même. Personne ne vous perdra, ni les autres, ni vous-même. La maladie ne va pas tout régir, vous avez encore quelque chose à en dire.

Mais pour pouvoir tenir ce discours au patient, il faut quelqu’un pour le faire en face.

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