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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 14:57

 

 

Le port de ce vêtement pose d’abord un problème très terre-à-terre. Sans s’en rendre compte, on identifie ou reconnaît les personnes à partir d’éléments du visage, généralement dans un triangle comprenant les yeux et la bouche. C’est un process très rapide de captation d’informations, que le cerveau traite aisément. Ce fut mis en évidence par une technique dite Eye-Tracking. On voit les effets de ce processus lorsqu’on est en voiture, par exemple, et qu’il se passe quelque chose de notable qui va nécessiter de retrouver les protagonistes : on cherchera d’abord à voir le visage de l’autre conducteur, et il y a fort à parier qu’il nous sera inconnu, alors que l’élément le plus pertinent de la situation serait plutôt son immatriculation. Mais c’est ainsi, on regarde le visage parce que c’est là que sont les informations essentielles, la possibilité de reconnaissance, le décryptage de l’intention, la communication non-verbale. (Souvenir personnel, je me suis rendu compte que pendant mon temps d’armée, je regardais chez les gens que je croisais d’abord leurs épaulettes car c’est là que s’affiche le grade, élément primordial pour savoir à qui on s’adresse (dans ce cadre là). Je m’en suis rendu compte à mon retour à la vie civile, car l’habitude s’était maintenue bien qu’elle n’ait plus de fonction).

Le niqab, de par sa forme, ne laisse voir que les yeux, ce qui rend, sinon impossible, tout du moins peu aisé la reconnaissance de la personne qui le porte. Mais là vient une autre question : comment, dans les pays où le niqab est porté, fait-on pour se reconnaître ? Les femmes voilées intégrales restent-elles toutes la journée à la maison, ou peuvent-elles faire des courses ou voir des amies ? Vous imaginez, deux copines qui en débinent une troisième, jusqu’à ce qu’on se rende compte que l’incriminée est une des deux protagonistes…

Sous nos latitudes, dans notre système culturel, on ne reconnaît pas, on n’identifie pas les personnes habillées ainsi. Ça a un petit côté fantomatique, mystérieux. Et l’inconnu provoque de l’inquiétude, ça, pas besoin de chercher bien loin. Il y a derrière ce voile une vieille inquiétude archaïque, animal, biologique qui nous met en garde contre l’inconnu, ou les intentions incomprises de l’autre. D’ailleurs, ce côté menaçant a déjà été exploité par un fait divers relatant le braquage d’un bureau de poste par des individus portant l’habit. On n’a pas ce genre de réaction quand on croise un franciscain ou un moine bouddhiste dans la rue, ce qui attesterait que la dimension religieuse est secondaire, mis à part la place particulière de l’Islam en France. On appose alors au niqab la différence de l’autre dit « menaçant », et au-delà tout le discours anti tout qu’on peut entendre là-bas, très à droite, et malheureusement de plus en plus proche, de moins en moins à droite.

Il y a une culture de la peur sociale qui est très tentante, et qui est le boulevard des lois sécuritaires. La propagande anti-juif des années 30 fonctionnait selon les mêmes règles.  Il faut un ennemi menaçant afin que nous nous serrions les coudes, ce qui créer de la cohésion sociale par réaction distinctive de cet étranger. Aussi mince puisse sembler cette référence, Anne Sylvestre chantait dans « Le petit sapin » ce vers suivant : moqué par les grands arbres de la forêt, le petit sapin demande qu’on lui explique. Les arbres lui répondent : « Nous prenons feuilles au printemps, toi, tu es plein de piques. Puisque tu es différent, tu dois être méchant. ». On ne te connaît pas, tu nous menace. En 1977, Alain Souchon chantait dans « Poulailler’s song » : « La djélaba, c’est pas c’qui faut sous nos climats.. ». C’était il y a 33 ans, le problème n’est pas neuf.

 

Par contre, interdire le niqab pour les résidentes, mais l’autoriser pour les touristes, ça fait une loi à deux vitesses et ça pose d’autres questions. C’est un peu particulier. Mettre en comparatif le fait qu’on est tenu à un certain dress code  quand on visite un pays islamique (pas de décolté, pas de tenue en montrant trop), ça n’est pas un argument. Il est possible que, selon les pays, on ait des règles différentes car les musulmans font du respect de leur religion une priorité qui n’est pas la notre. Il est plus délicat de penser que pour un seul et même pays, il puisse y avoir plusieurs règles selon celui à qui elle s’applique. En même temps, c’est le même dilemme qu’avec les sans papiers entrés sur le territoire avec un visa touristique. Pour les touristes, ça passe, mais pour les résidents, c’est non.

L’éducation, plus que la peur, permet de gérer la différence, de l’accepter. Mais ça ne répondra pas à la question des intentions de l’autre, vécu comme se cachant, et de toute la fantasmatique qui en découle, et de l’engrais que cela représente pour les champs démagogiques de la classe politique et journalistique.

 

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