Je continue à m’interroger sur le phénomène du blogging. Qu’est-ce qui peut bien pousser les gens à laisser comme ça, aux yeux de tous, des pans entiers de leur vie, de leurs réflexions, de leurs émotions ? Si je pouvais me le permettre, je me retournerai la question et me demanderai : Qu’est-ce que tu fais, là ?
Effectivement, qu’est-ce qu’on fait à laisser là, pour d’autres car le principe du blog est qu’il soit lisible par le plus grand nombre, des morceaux de nous ? Alors que j’évoquais la question en petit comité, une des réponses fut : « Les blogs servent aux gens à dire, à montrer aux autres que leur vie est bien remplie ». Ça peut être en partie vrai, mais ça exclut les blogs qui n’ont pas vocation à raconter le quotidien, comme ceux sur les combats face à la maladie ou les dernières techniques de confiture. Rien pour se vanter de l’exceptionnelle vie qu’on mène… Je pencherai davantage pour une version raccourcie de cette phrase, qui dirait plutôt : les blogs servent à dire qu’on a, qu’on est en vie.
Ce n’est pas très joyeux, cette idée d’appel lancé on ne sait où dans la toile mondiale, pour ne pas dire dans le vide numérique. Mais est-ce que ça sera lu ? Par qui ? Combien ? Sinon, quelle est l’importance du compteur de visite, du Blog Rank, sorte de compteur qui évalue l’importance de votre blog dans la Blogosphère, utopie (autre lieu) où on se construit une place où on nous écoute, ou on nous lit. Car qui peut tenir avec l’idée que ces heures passées devant nos écrans sont vouées au vide, et qu’on n’est pas en quête de quelque chose, d’une réponse ?
Cependant, vu la quantité, de nombreux blogs restent dans le silence. Beaucoup de blogs prennent fin, faute de susciter un quelconque commentaire. Au lieu de nous mettre en lien, en communauté, un blog sans réponse renvoie à la solitude. Et c’est là, je pense, que nait le paradoxe, de ce message lancé sans savoir, sans connaître le destinataire, avec l’espoir qu’il le trouvera, comme une bouteille à la mer. On écrit pour quelqu’un, quelqu’un qu’on fantasme. Mais ce n’est pas une communication, on ne met pas vraiment en commun car il manque l’un des deux interlocuteurs, et s’il n’y a personne qui répond, ça meurt. On blogue seul, mais on ne peut pas le faire sans l’autre, au moins dans notre imaginaire.
Pour que ça marche, il faut qu’il y ait un retour, et je trouve là un parallèle avec le stade du miroir de Jacques Lacan. L’enfant construit quelque chose des prémices de son identité quand la mère, face au miroir, lui montre son image en la nommant du prénom de l’enfant. « Cette image là, c’est toi, et voilà moi ce que je vois quand je te regarde ». L’enfant fera le lien entre cette image qu’il voit et lui-même, distinct du corps de la mère, et qui sera le début de son individuation, c'est-à-dire la construction de son individualité, lui comme entier, indivisible et non assimilable à quelqu’un d’autre. La mère intronise quelque chose du « je » de l’enfant en renvoyant son image chargée de mots. Si rien ne renvoie le discours, ça ne marche pas. Pareil pour le blog : pour SE dire, il faut que quelqu’un en atteste. Comme si le blog avait à voir dans sa mécanique fantasmatique avec la défusion mère-enfant. « je serai quelqu’un sur le Net quand on répondra à mes articles ». Il y a dans le blog quelque chose de l’ordre de la quête de la reconnaissance, une preuve existentielle, attestée par l’autre, qui nous réalise, c’’est à dire nous rend réel, qui nous permet de dire : j’existe.
Partant de là, la question suivante serait : sommes-nous capable de tenir un blog sans adresse, sans témoin, comme les anciens journaux intimes ? La différence, c’est que le journal intime avait vocation à rester secret, intime, caché, à l’intérieur. Le Net propose de rendre ça visible à tous, comme une promesse qui dirait : parlez de vous ça intéressera d’autres gens, ou comme disait Andy Warhol parlant des médias : « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». Cette culture de l’exhibitionnisme, cet appât de la gloire serait aussi à interroger. Internet nous a vendu une promesse de gloire, nouvel El Dorado, vers lequel les bloggeurs se sont rués, à l’image des plaines aurifères de Californie au XIXème siècle.
En attendant cela, on écrit, on commente, on fait savoir ce qu’on pense. Je crains qu’au fond, on ne s’ennuie.