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15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 10:08

Le cas qui nous préoccupe aujourd’hui est celui d’un jeune homme dont je m’occupe dans le cas de l’Institut médico-éducatif.

Je l’appellerai Jean. C’est un jeune trisomique, déficient intellectuel moyen, maitrisant mal le langage. Il a 19 ans, et les démarches concernant son avenir sont engagées, la limite légale de l’accueil étant fixée à 20 ans (en dehors de l’amendement Creton).

Il est vraisemblable que sa vie future se déroulera dans un foyer d’hébergement, c’est-à-dire un lieu où il vivra sa vie accompagné d’éducateurs spécialisés, où des activités diverses lui seront proposées, excluant toute idée de travail. Il est capable d’assurer quelques menues contraintes du quotidien, comme sa toilette, quelques petits services, n’allant pas jusqu’à savoir gérer son linge, par exemple.

Cette période est toujours compliquée car l’avenir est plein d’incertitudes. La pénurie de places disponibles crée des listes d’attente qui rendent tout prévisionnel impossible, et aucune date ne peut encore être avancée quant aux étapes suivantes de sa vie. Ça se fera, un jour, dans les 3 ou 4 années à venir. Cependant, puisque c’est pour lui la prochaine étape de son parcours, ça l’habite beaucoup et il en parle très souvent.

Au début du mois de décembre, j’apprends la dramatique nouvelle du décès du père de Jean. Sa famille le récupère pour une quinzaine de jour, le temps du retour au pays natal pour les funérailles. A son retour, toute l’équipe attend Jean avec une attention particulière. Il est effectivement abattu, parfois triste, et répète plusieurs fois dans la journée : « é parti Papa. Verra pu, verra ou… »

On me demande de le recevoir (un peu comme si le psychologue était davantage capable de faire passer le chagrin…).

Et Jean me parle. Il n’a même pratiquement jamais autant parlé qu’à cette entrevue. Mais il ne parle que d’une seule chose : du discours qu’il a l’intention de prononcer lors de son pot de départ de l’établissement.

Étonnamment, c’est très bien structuré. Il cite tous ses amis et les autres jeunes qu’il aime bien, accompagné de « Merci beaucoup », et également tous les membres du personnel qui l’ont pris en charge, disant « Va me manquer ».

Ce qui m’interroge beaucoup, c’est ce que dit ce discours. C’est à dire dans un contexte de deuil sur lequel on ne sait rien car la famille n’en a rien dit, Jean me parle longuement de ce qu’il dira quand lui partira (de l’établissement), au travers d’un discours qui dit globalement : « Merci les amis, vous allez me manquer ».

J’ai du mal à ignorer que les deux modalités de départ, le sien et celui de son père, ne se chevauchent. Ou tout du moins n'aient un lien. Ce qu’il me dit de son discours de départ ressemble fort à ce qu’il aurait très bien pu dire à son propre père. Dans les deux cas, un message d’adieu.

C’est alors que je reprends ma question globale sur les formations de l'Inconscient de la personne handicapée mentale. Malgré ses difficultés d'élaboration, malgré sa maitrise du langage toute relative, Jean construit bien par la parole une réparation, un message d'adieu, il verbalise le "partir". Mais il dit autre chose que ce qu'il dit vraiment, comme le fait l'Inconscient quand il veut nous faire passer un message. Je reste interrogatif quant au fonctionnement de l'Inconscient et de sa maitrise de l’association libre dans des cerveaux de gens qui sont justement à la peine avec l'association d'idées, le fait de lier les choses entre elles, en un mot : l'intelligence. Attention, loin de moi l'idée de dire que les déficients intellectuels n'ont pas d'inconscient, mais la question reste de savoir comment fonctionne un système structuré comme un langage, quand le langage fonctionne mal. L'inconscient, quant à lui, ne fonctionne jamais mal.

Je n'exclue pas l'hypothèse que cette transposition de discours puisse aussi être du seul fait de mon interprétation. Il est tout à fait possible que Jean ait pensé à son discours de départ, et qu'il en ait parlé, et puis c'est tout. Mais....

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commentaires

A
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> <br /> Cordialement
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G
Je vous félicite pour votre critique. c'est un vrai œuvre d'écriture. Développez
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